Le Pastoruri, une rencontre et un renoncement


Le vent frais, les nuages noirs qui s'amassent sur les pics enneigés dès midi, une petite auberge animée... Tout ce qu'il faut pour replonger dans l'ambiance montagneuse de Huaraz la tumultueuse Lima. 

 27 janvier 2019

Voila, je n’ai pas pu partir hier, je pars aujourd’hui. Après avoir pris un petit déjeuner dans la rue (jus de quinoa, petit pain avec des œufs), j’étreins Mariela, mon hôte tout ce temps passé à Huaraz. J’ai l’impression de m’être imprégné de la ville et de fait j’y suis arrivé le 20 décembre. Mariela c’est une petite dame adorable, on dirait qu’elle tient moins son auberge pour l’argent que pour prendre soin de tous les voyageurs.



Premiers coups de pédales, je suis chargé de tout ce que j’avais pu laisser à l’hôtel lors du tour du Huascarán, et c’est dur. Mais franchement, quel bonheur de raccrocher avec l’asphalte, sentir le vent, voir défiler les arbres et les pentes du canyon à la sortie de la ville...



Vers midi le ciel s’assombrit alors que le paysage change, presque la Mongolie, en grandes plaines interminables. Mais le ciel gronde et l’averse me prend au dépourvu. Petit village de maison faite de terre et paille, un abris et mon fromage. Assis sur une brique je regarde le ciel s’effiler et m’assoupis dans mes bras. Tout s’est arrêté, je reprends la route, où plutôt la piste. La piste Pastoruri passe par le glacier éponyme et va vers Huallanca. 

Les colline pelées par le bétail sont dessinées en courbes douces, au fond la Cordillère blanche dévoile ses pics acérés. C’est magnifique.







L’entrée du parc c’est bien ce que je vise. Mais c’est loin et déjà une bruine tombe. Ne voulant pas trop en faire le premier jour, je laisse mon instinct m’arrêter au bord de la piste et plante la tente en vitesse dans un décor de rêve, entouré de moutons.



Un sifflement... Ça toque à la toile, j’ouvre et tombe sur une mamie édentée, joliment parée du chapeau local qui me sourie. Impossible de deviner son âge à travers sa peau burinée. Nous voilà à papoter, elle est adorable. Je ne crains rien ici ! Elle vit dans la petite cabane en pierre et en toit de paille un peu avant, seule habitation depuis que j’ai quitté la route. Je passerai tout à l’heure.


Faire cuire un repas le soir et en garder pour le lendemain et la meilleure technique pour gagner du temps le midi. Du riz et du thon fait l’affaire pour ce soir et alors que je finis de le cuisiner le ciel s’embrase et embrase à son tour les collines d’un vert qu’en bon daltonien je n’avais jamais vu. Le spectacle est sensationnel, ma petite tente perdue dans l’immensité des derniers rayons...

Puis je cours vers la petite habitation à plusieurs centaines de mètres, mon riz sous le bras.











Elle s’appelle Aurelia, et son fils Oscar, je la vois descendre au torrent en contrebas pour chercher de l'eau alors que j’arrive dans cette petite ferme. Deux minuscules maisons de pierres, et dans un muret la centaine de moutons me regardent avec des grands yeux et les vaches, cochons, poules, chiens, chats slaloment devant moi.


Oscar m’ouvre une porte qui m’arrive à la taille, la toiture de paille touche mes cheveux, la suie du petit feu au fond recouvre les petites poutres. C’est si sommaire mais c’est la pièce de vie. On me retourne un bidon et je m’assoie. Je partage le riz encore chaud pendant qu’Aurelia brise des bouses de vaches séchées sur son genoux pour alimenter le foyer rougeoyant. Une marmite indescriptible bouillonne au dessus. Les visages ne sortent de la pénombre que par l’effort d’une petite lampe de poche. Deux agneaux me lèchent les doigts pendant que la poule couve dans un coin.

Mon riz n’est pas assez cuit mais cela ne semble pas leur poser problème et nous discutons allègrement. Il me félicite pour mon castillan et je me rends compte que la discussion est aisée, il aura fallut trois mois ?
Les touristes, le pérou, la nourriture, la France, la politique... tout y passe, nous apprenons à Aurélia où se trouve l’Europe et les Etats-Unis, je ne crois pas qu’elle soit jamais allée à Huaraz.

Puis d’un sac en toile, la mama me coupe un large bout d’un fromage frais, des petites patates anciennes chaudes arrivent dans ma gamelle, puis la soupe qui mijotait finie de me réchauffer.


Le temps s’est complètement arrêté, je ne pense à rien qu’à eux, qu’à leur vie et notre discussion.

J’ai froid, il fait 4º et par les interstices je distingue le dehors.
Aucune notion du temps, mais j’ai fini par prendre congé. Aurélia et Oscar m’oblige à venir déjeuner avec eux à 6h, « du lait frais ! le meilleur ! », je ramènerai mon avoine et mes bananes.

Oscaro m’accompagne dehors, seule la lumière du portable me guide alors que je serpente dans les herbes. J’ai beaucoup de mal à me repérer mais je vais tout droit en longeant le ravin d’où monte la violence du torrent. J’ai froid. Je ne comprends plus la topographie, la tente était si loin ?


D’un coup je relève la tête. La voûte céleste me tombe dans les rétines. Mon pied tape une pierre, je manque de perdre l’équilibre. Le ciel est taché d’étoiles, plus que jamais je ne l’avais imaginé, la voie lactée badigeonne une large partie tandis que les constellations percent plus que les autres.


La tente, enfin.

Je me brosse les dents, la tête renversée, mes pieds font des petits pas circulaires sur moi même et le ciel se met en branle. Tout tourne si vite, je n’ai plus aucun notion spatiale, mes oreilles sont emplie par intermittence du bourdonnement de l’eau, c’est psychédélique.
Mes lèvres sourient seules.

28 juin 2019


7h à peine passé, j’arrive devant les deux cahutes et le bétail. Oscar est posté à l’entrée de la pièce à vivre et me hèle, je retrouve Aurelia à l’intérieur.

Le réveil et difficile, le fils se frotte les yeux, la mère touille une marmite méconnaissable de suie.
hormis la lampe d’hier soir, le seul objet électronique est une petite radio qui crache tant bien que mal les actualités locales.
Elle n’accepte pas ma nourriture mais me sert abondamment de sa préparation. Une sorte de jus de quinoa épais composé de farine, eau, cannelle, gingembre pour ce que j’ai reconnu...




On commente l’actualité pendant que les pains trempent dans le liquide chaud, je me balade autour, il y a tous les animaux.
Aurélia m’avait promis du lait frais à emporter ! alors elle me tend un seau, je prends une bouteille vide et nous partons rameuter les vaches dans l’enclos où sont leurs petits. Elle a la cadence d’une femme qui a passé sa vie à parcourir chaque jour cette vallée, il faut suivre.
Elle traie les pis un à un envoyant de grandes giclées dans le contenant, moi je regarde pendant qu’elle me parle de sa vie.
« On est des esclaves tu sais; des gens pauvres ! ». Tout ce bétail ne lui appartient pas, ils n’en sont que l’usurier.

Je ne sais pas comment la remercier et nous échangeons de longs adieux alors qu’elle doit rester au champs et moi remonter au vélo. Ma bouteille de lait tiède dans la main, je remercie le ciel pour cette rencontre, serre la pince d’Oscar et reprends la route.



















C’est encore plus dur qu’hier, mes jambes sont en coton et le vélo plus lourd que jamais, avec le ciel couvert sur la Cordillera blanca, la journée s’annonce difficile et elle le sera.


Dès 9h la première grêle tombe. J’atteins l’entrée du parc que je visais hier soir. Encore payer 30 soles (8€) pour la troisième fois.

Mais les montagnes en valent tellement la peine ! Elles sont admirablement façonnées par le temps et sur leur flanc pousse des Pias Ramundi, une immense plante qui grandit trois ans avant de fleurir et mourir. 










Mais tout se couvre et je suis fatigué, je dois faire des pauses tous les 200 mètres et pourtant je ne suis qu’à 4300m...
La pluie s’acharne. Ma cape déchirée laisse passer les gouttes, les guêtres mal en point laisse poindre l’humidité sur mes orteils. Ça va être dur. Que faire ? Renoncer quand il est encore temps ? Continuer ? Alors que je ne parviens plus à appuyer sur les pédales pourtant en grand plateau petite vitesse, des petites cabanes comme celles d’Aurelia et Oscar apparaissent.





Le refuge bienvenu, la même construction de pierres sèches et de paille sur le toit, avec des interstices. J’attends la fin de la pluie qui paraît interminable... ça y est il fait 3º, avec tous mes tee-shirts et ma polaire j’ai froid, sans parler des pieds. Je m’endors sur un bout de bois après avoir échouer à allumer mon rechaud. C’est un point important car sans réchaud, pas de nourriture et difficile de rejoindre sereinement Huallanca, la ville que je vise.

Alors je réfléchis mais je ne sais quoi faire, abandonner ? tenter ? Allez si l’averse s’arrête je continue plus haut vers le col.

Mais elle ne s’arrête pas. Seule option rester ici. La neige tombe 200 mètres au dessus. Impératif : avoir chaud, deuxième impératif : manger.
Alors dans une autre cabane avec un foyer j’allume un feu de bouse de vache, seul combustible. Sans cheminée tout s’enfume, j’en rigole tellement la scène est improbable !

Des pâtes, d’autres pour demain, un thé... j’ai mal au dos, les portes font 50 centimètres de haut. Dans une des cabanes les moins sujettes aux infiltrations je pose ma cape au sol et dresse mon couchage pour la nuit. A travers les quelques crouttes de bois qui font office de porte on distingue la lumière de je ne sais quoi vu que la lune doit être drôlement loin derrière les nuages... Il fait si humide, merci au sac de couchage plutôt bon. Je dors avec mon portable, il se décharge avec le froid et j’en suis bien tributaire pour arriver au bout.



Une journée aussi incroyable qu’éprouvante, commençant par découvrir la vie des quelques habitants de ces hauteurs, finissant par vivre comme eux. C’est rude. Ils sont costauds.








29 janvier 2019


1º ? C’est tout ? Mais j’ai chaud moi, ah ça doit être ça les bouffées de chaleur, la fièvre. Elle fait suite logique à ma faiblesse des dernières journées; les deux heures pour rassembler mes affaires témoignent que monter le col à 4880 ne sera pas pour aujourd’hui. Là, maintenant, il faut être réaliste, je n’aurais jamais la force de passer de l’autre côté ou du moins de repasser une nuit d’humidité encore plus haut. C’est très éprouvant et mes équipements sont soit inadaptés soit détériorés. Maman m’aurait dit de redescendre, je l’écoute.

C’est jamais simple de renoncer, je n’aime pas ça.
La nuit a été agitée, comme les nuits trop longues d’ailleurs, à 20h je me suis écrasé de fatigue jusqu'à mon réveil de 6h, c’est trop long, c’est mouvementé.

Je quitte donc mes 3 petites huttes et renoue avec la descente. Mais dès qu’une petite côte se présente, même les vitesses les plus aisées ne m’aident pas et je comprends que j’ai fait le bon choix.

Deux suisses à vélo eux aussi, grimpent là haut, ce que j’ai fait en une après-midi, ils l’ont fait en 45 minutes...
Que faire ? Une petite chambre des plus sommaires pour reprendre des forces. Allez on repartira quand tout sera en place.



J'ai Alaska Patagonie au téléphone, un couple de Français extraordinaires voyageant eux aussi à vélo, ils choisissent la côte à la montagne. C'est triste de renoncer et pas facile mais je choisi de faire comme eux et les rejoins à Lima. 


Le Pérou est sujet à une saison des pluies très violente. Coulées de boues, ruptures de ponts et autres chutes de pierres font des morts ou au moins rendent très dangereuse la région de la Sierra. La route que nous pensions prendre pour suivre les Andes jusqu'à Cuzco, surtout seul, surtout après deux mois au Pérou sans bien avancer... 

Commentaires

  1. Voyage dans le voyage ... Félicitations et merci à la vie !

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  2. J'adore suivre cette aventure.
    Vous n'étiez pas 2 au départ ?
    Qu'est devenu Edgard ?

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    1. Nous venons de nous retrouver à Arequipa après un mois et demi de séparation. Edgar était parti à San Francisco voir sa copine, nous voilà de retour à deux pour rejoindre Santiago !

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    2. Merci pour la réponse
      Me voilà rassuré
      En tous cas, un grand bravo pour cette superbe aventure
      Hâte de lire la suite

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  3. Le renoncement est aussi un beau voyage
    Tu m'épates mon pote.
    Encore merci pour le bonheur de suivre ton aventure.
    Bises de Digne

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    1. Merci parrain, toujours un plaisir d'avoir tes petits mots. As-tu reçu la carte ?

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