La Paz – Uyuni : hallucinante Bolivie


La Paz. Des habitations juchées sur des pentes impraticables, un trafic et un panorama. Une beauté de ville couronnée par des monts enneigés, sillonnée de téléphérique innovants, parcourus d'une multitude de mini-bus, soulevée d'une calme agitation. Je crois que c'est une des capitales les plus passionnantes qu'il m'ait été donné de voir.




Nous l'avons découverte par la ville d'altitude El Alto. Une périphérie à l'histoire forte, entrée principale à la capitale avec une vue imprenable.
Je m'en souviendrai de cette date : le 4 mars, jour de carnaval !! La Paz vit au rythme de la musique et d'une animation proprement sud américaine. Edgar et moi échouons fatigués dans un hôtel, non sans mal : pris dans les mouvements de foule des rues combles, aspergés de mousse à raser comme il en est devenu la coutume, nous nous perdons, retrouvons, sillonnons parmi les pacéniens excités, les odeurs de nourriture omniprésentes et la joie palpable.



Le lendemain, jour de défilé, les abords de la grande avenue sont combles. Les places assises se négocient et les vendeurs ambulants crient. Dans l'agitation, les groupes culturels portent le chapeau de leur région et dansent au rythme des joueurs de flûtes de pan et autres orchestres. Les particularismes culturels qui se succèdent dressent un magnifique le tableau de la Bolivie, un pays reculé, uns des moins développés d'Amérique latine, mais où se tient, vivace, une fierté des coutumes.






Cette période est aussi celle de la séparation. Après notre virée d'Aréquipa, au Pérou, jusqu'à La Paz, Edgar en a fini avec le vélo. Le choix est salutaire, il revient à savoir ce qui est bon pour soi, et contrairement à moi, il n'a pas le but qui le motiverait assez. Le voyage à vélo est douloureux autant qu'il est beau. Il justifie d'avoir ancré une envie profonde. Nous passons nos derniers jours dans cette capitale, au rythme des beaux petits déjeuners, des pains au chocolat, des balades et de repos.
Edgar vend son vélo et s'envole vers des projets plus stimulants : dans les Caraïbes il aidera à la construction d'une maison flottante avant de rentrer en bateau.



Cela fait une rupture dans le voyage. Je repars seul, avec une pointe d'appréhension, certain que je vais réussir mais conscient que je ne pourrai partager directement ce que je vis et qu'on était toujours mieux à deux cerveaux face aux problèmes. Et des problèmes, j'en ai... 

Depuis l'entrée en Bolivie, beaucoup de soucis techniques se sont présentés ; des rayons cassés aux sacoches qui perdent des vis, en passant par un pneu qui se déchire. Bref, je reprends la route en direction du sud mais suis stoppé dans ma course folle par un incident aussi bête que rageant : la perte des arceaux de tente sur la route. Je refais les 100km de la veille en marche arrière après avoir dormi dans une maison abandonnée, mais ne les retrouve pas. Me revoilà à La Paz, déçu, dans le pétrin, devant faire face à des poids financiers imprévus : l'achat d'une tente, l'envoi en colis de l'ancienne en France.






Mais voyons le positif ! Je retrouve Sophie et Jérémy (Alaska Patagonia) avec qui j'ai fait un bout de route au Pérou, souvenez-vous. Un plaisir de se retrouver, de se raconter nos aventures depuis Aréquipa. Mais alors que nous déjeunons avec plaisir dans un restaurant français de La Paz avec un autre couple d'amis, des verres de vin nous sont offerts... Pour faire court, par un heureux jeu de relation, l'Ambassadeur de France en Bolivie à eu vent du périple An'danseuse, et voilà que son compagnon nous invite à la réception à la résidence de France deux jours plus tard. Comme quoi, les hasards font bien les choses.



J'ai donc le temps de trouver une tente incroyablement compacte et légère (qui allègera également le portefeuille) mais j'en suis très heureux. Le temps d'envoyer mon colis et puis voici la réception. Engoncé dans une chemise de luxe qu'on m'a prêtée pour l'occasion, j'assiste donc à la réception pour la journée de la francophonie, avec le plaisir d'entendre parler français, de bien manger et boire et de rencontrer toutes sortes de gens intéressants. Bref, un grand merci à M. Gaillard.



Et me voilà déjà retourné dans ma maison abandonnée à 150km de La Paz, où mon vélo attendait sagement ! Je repars enfin plein sud.



Définitivement seul dans le voyage, le mot wanderer me revient en tête, ces voyageurs romantiques allemands qui n'attendaient rien mais s'exaltaient de tout, me voici roulant dans les étendues de l'altiplano, glissant parmi les petits villages, dormant où les vents sont propices et les ciels, beaux.
J'arrive à Oruro et quitte alors la grande route pour glisser vers le l'arrière-pays. Vigognes et lamas me regardent placidement passer, la grandeur se fait de plus en plus écrasante, et la Bolivie devient proprement hallucinante.








                        La quinoa est partout, culture principale de la région, à destination de l'étranger

J'expérience pour la première fois la sensation des déserts, altiplanos ou autres plaines immenses, et d'autant plus à vélo : les distances sont complètement inestimables. Ce village que je vois là bas, non ce n'est pas celui à 20 kilomètres, ça va être rapide... Une heure plus tard, le village me paraît exactement à la même distance quand bien même j'ai poussé sur les pédales... La corde de la folie apparaît, il va falloir beaucoup de force mentale dans les semaines à venir; les choses s'empireront amplement sur le Salar d'Uyuni.




Mais pour le moment je suis sur une route tranquille, au travers de cratères de météorites, de volcans, de quelques lacs. J'arrive à Salinas qui est le dernier village important avant le Salar. Je compte passer par l'ouest pour le contourner car en cette fin de saison des pluies, il est encore en eau et tout le monde me l'a dit comme « impossible » à traverser.




J'engage à 15h, mon dernier trajet en sa direction, la piste est mauvaise mais j'avance avec le volcan Tunupa comme point de repère. A vélo, comme à pied, un seul point peut constituer la motivation ultime de la journée. Ainsi je me suis mis en tête d'arriver au Salar en contournant le volcan... Il est tard et la première piste complètement sableuse me stoppe net. C'est rageant, dur, il faut une volonté sans borne pour pousser le vélo, sortir de là.

Alors que le soleil se fait rasant, je passe le contrat tacite d'arriver sur les berges du lac de sel avant que les derniers rayons n'aient disparu. S'engage une course de folie sur les pistes ballottantes. Je contourne le volcan qui s'embrasent une dernière fois, ça y est les ombres m'étreignent... J'arrive à la nuit tombante devant l'immense miroir. Mais un dernier rayon dore un nuage, j'ai gagné ? 



Un réveil dingue. Le Salar d'Uyuni s'étend à l'infini, blanc, aveuglant, incroyable. Alors que je m'engage sur ses bords, la profondeur me dissuade une dernière fois de le traverser. Mais... Ca serait trop simple d'abandonner comme ça ? Un camion transportant des tanks d'eau vers l'île m'indique que passer les quinze premiers mètres le niveau est de 3-4 centimètres constants. Eheheh, je fais le stock d'eau potable, porte sacoches et vélo sur un petit îlot de sel, et ça y est. Je donne mes premiers coups de pédales...






Quel sentiment... Comme une goélette, je fends l'eau claire de mon entrave de caoutchouc, et un chuintement lancinant de cascade devient le seul bruit qui m'entoure. Le sol blanc se forme en grandes alvéoles de sel et des milliers de d'éclats multicolores me sautent aux yeux. Les cristaux de sel sont des diamants de lumières qui constellent le sol; partout où porte mon regard, dans l'eau les pétillements répondent. 

Et le Salar devient psychédélique, et autour de moi s'étend l'infini. Même l'île que je vise n'apparaît pas en raison de la courbure de la terre. Avec la diffraction de l'air, les autres à l'ouest semblent flotter, éthérées, inconnues, sur une lame de miroir que ces trois centimètres offrent à l'étendue de 10 000 km2. Elles sont aussi proches que mon cerveau veut le croire, peut-être 50 kilomètres en réalité. Des petits triangles ondulants dans la chaleur des hauts plateaux andins. 
Au sud-est c'est terriblement plus perturbant : comme je ne distingue ni côte ni montagne, le blanc du salar et sa réverbe se confondent au ciel pour donner un grand coup de pinceau sur l'horizon.






Alors, bienheureux, je pédale, rigole de bonheur en réalisant où je suis et par quel moyen de locomotion, pouffant de l'idée qu'il m'est impossible de cuisiner puisque je n'ai aucun endroit où m'arrêter, mangeant mes oeufs durs que j'agrémente des dépôts salins que recouvrent maintenant l'ensemble de mon vélo. Le pauvre, lui n'est pas le plus heureux, ça y est un premier porte-bagage se rompt, peut-être moins l'oeuvre du sel que de ces alvéoles qui semblent consteller le sol comme un cadre de ruche. C'est d'ailleurs un mystère que ces formes parfaitement géométriques qui ornent le sol. Mais moins encore que ces cristaux qui dérivent sur la surface au gré du vent et tapissent le fond. D'une forme semblable aux temples incas, comme une superpositions croissantes de cubes parfaits... Proprement hallucinants.



Mais voilà, alors que l'après-midi touche à sa fin, l'île se rapproche enfin. J'amarre sur une autre planète : l'île Incahuashi. Cet amas volcanique trône au centre du Salar avec son corail acéré, percé d'immenses cactus parfois vieux de 1200 ans. Les plantes d'une quinzaine de mètres sont peut-être la seule vie sur l'île et je dois être seul à cette période.
Sur le haut, j'amarre à son tour ma petite tente dans un renfoncement protégé du vent. Ce soir j'ai la plus belle chambre du monde : je domine toute l'étendue de sel avec à l'ouest un somptueux coucher de soleil, comme le sera le lever au lendemain.


Ça y est je roule vers le sud, je vise une île un peu à l'ouest de ma route vers la sortie. Elle me paraît si proche que je mets du temps à réaliser qu'elle est mon but. Hallucinante Bolivie... Je pédale trois dures heures pour la rejoindre. En haut j'ai encore une vue imprenable, encore des cactus, des grottes... Il est midi, il faut que je sorte de ce lieu de soleil.
Je me remets en route en traversant toutes sortes de terrains, tantôt l'eau recouvre le sol tout plat, tantôt il s'alvéole, parfois se change en crevasse... C'est fatiguant tant je rebondie méchamment sur les fissures. Peut-être que la route indiquée sur ma carte sera meilleure ? Encore une heure pour changer mon cap... Elle est totalement inexistante. Alors je comprends que la montagne en face de moi (qui me paraissait encore une fois si proche) est ma destination. Non je n'avais pas à varier ma direction pour la contourner, je devais la rejoindre !







A partir de là tout s'accélère. Ou du moins se complique. C'est la fin de journée et l'eau monte, inexorablement, ce n'est plus 3-4 centimètres mais 10, mais déjà c'est 20, puis 25 ! Et m'arrêter me condamnerait, j'ai des bottes et déjà elles se remplissent. Le village me paraît si proche... Aaaah tout devient si dur, ma dernière sacoche avant freine mon avancée, mes pieds battent l'eau comme des roues à aubes et tous mes muscles peinent à appuyer sur les pédales...
45 minutes. J'en ai crié, invoqué tous les dieux... jusqu'à ce qu'ils me rejettent sur un sable mouillé, complètement épuisé.




Encore une demie heure à pousser, puis un autre long mais beau moment sur les abords du grand lac jusqu'à échouer dans un hôtel salvateur.
Quelle expérience ! Inoubliable sans aucun doute, forte, belle surtout. Quelques jours de repos, de nettoyage et de bricolage de la bicyclette avant une autre grande aventure : la traversée du Sud-Lipez. 

Commentaires

  1. Vu d'ici (De Paris je veux dire...) il faut un grain de folie pour s'aventurer dans ce désert de sel ! Et tu l'as fait. Les photos nous donnent une idée de cette improbable traversée, diabolique et magnifique. Nous allons te retrouver le caractère bien saumuré aux cristaux magiques de ce désert.
    Buen camino !

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  2. Incroyable! Quel courage! Merci pour ce magnifique reportage et ces splendides photos!!

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